La clarté crue et froide descendue des pylônes donne à la légère brume qui flotte au ras de la pelouse un air fantomatique, les arbres cernent ce théâtre clos et l’enserrent d’humidité, la pelouse scintille sous les projecteurs et le sol gorgé d’eau laisse apparaître ici ou là de larges flaques d’eau et des zones boueuses ou les pas s’enfoncent plus que de raison. Un petit vent frais vient nous rappeler par légères rafales que nous sommes en janvier, il fait froid et humide, pas de doute : nous sommes à la Grenouillère, terrain d’entraînement. Pour ceux qui connaissent l’endroit, les sombres héros d’une obscure chronique intitulée « Hier soir », le pré est peuplé de souvenirs et de PP absents, expatriés, déportés en province ou simplement d’outre-tombe… Alors bien que ce soir nous jouions les Carcajous sur leur créneau, en fait on se sent chez nous et c’est bon : on joue à domicile.
Les Carcajous, nous les PP on n’a pas bien digéré qu’ils nous aient battus l’an passé, et vu la performance artistique qu’on a réalisé la semaine précédente contre les Globes, l’heure est au revissage du collectif et des crampons. Les consignes sont simples « va falloir aller le gagner ce match ». La boue et la froidure c’est le décor, l’état d’esprit est bon, sérieux mais sans se la raconter, plutôt relax, mais tout les slips ont été confisqués.
Les PP sont 20, les Carcajous sont 30, l’arbitre porte des chaussettes roses ce qui est une faute de goût. Règles folklos de chez folklos, pas de coups de pied hors 22, pas de pénalités jouées vite, ni de touches rapides… On part sur 2×40. Allez let’s go folklo…
Coup d’envoi les deux packs s’élancent. Les Carcajous ont pris du poids depuis le temps où ils nous accueillaient au Parc Heller et l’entame de match est rugueuse. Ca dispute, ça déblaye et ça rentre. L’impact est réel et les PP défendent et se mettent au diapason. Défendre on sait faire et aller chercher on sait aussi. Alors si au démarrage les Carcajous semblent dominateurs, le ton change rapidement. Les attaques adverses se brisent sur notre rideau défensif et nous reprenons le terrain perdu.
Les deux packs commencent à s’agacer, les rucks et mauls sont confus d’un point de vue réglementaire et quelques anicroches surviennent entre joueurs, même Sa Sainte Sérénité Suprême Boubouche, qu’on a sorti de la naphtaline où on l’avait mis la semaine dernière, se met à donner des coups de tatanes dans un joueur qui lui agrippe le maillot alors qu’il rampe dans la boue et qu’il n’est donc pas à priori sur ses appuis, à moins d’être vraiment très petit.
Soudain alors que les packs s’expliquent poliment, l’arbitre, sympathique au demeurant malgré ses chaussettes, mais visiblement sensible à l’agacement général se met à vitupérer dans un langage fleuri contre les PP, qui, semble-t-il, seraient dans cette période les seuls à faire des fautes. Même les Carcajous sont gênés… Cependant la morale nous commandant de ne pas assommer l’arbitre, le jeu reprend et se sont les Carcajous qui font les frais de notre juste colère.
En effet la domination des Carcajous a fait long feu, et si le match semble à peu près équilibré, en réalité ce sont les PP qui prennent le dessus et qui commencent à devenir dangereux par de beaux mouvement de trois-quarts. La réussite n’est pas entièrement au rendez-vous, sans parler de quelques coups de sifflets intempestifs sur des fautes imaginaires, mais cela finit par payer et la rude bataille des avants pour la conquête du ballon se conclut par un bel essai de débordement à l’aile aplati par P’ti Lu sur une dernière passe de Che. Car c’est ça le rugby une bande de baltringues de minets qui vont se faire photographier franchissant la ligne pendant que des vrais mecs vont au charbon le nez dans la boue pour leur sortir des ballons qu’ils vont foutre par terre 9 fois sur 10 !!! Et qui se tape mêlée, sur mêlée à cause de leurs en-avant ??? Bon d’accord pour ce match j’exagère mais c’est pour toutes les autres fois…
En attendant cet essai met un petit coup au moral des Carcajous, déjà un peu secoués par le style de jeu PP. « On s’en prend plein la gueule » livre un de leur joueur à un Rico goguenard sur la touche.
Le match se poursuit. Les PP continuent de mettre les barbelés avec une belle énergie et les Carcajous n’arrivent pas à plus se trouver qu’avant. La faute à leur effectif pléthorique ? Peut-être mais il faut dire que à contrario les PP sont particulièrement soudés ce soir là.
La mi-temps arrive et les choses continuent à l’identique en seconde période. Des occasions ratés, quelques-unes. Et un score qui ne bouge pas grâce à une défense Carcajous solide, car à bien y regarder si d’un point de vue offensif nos adversaires ne se sont pas montrés souvent dangereux, ils ont presque réussi le sans faute en défense, mais c’est comme pour la chtouille il suffit d’une fois…
A noter la prestation pour ses 19 minutes de match annuelles de Môssieur Brasse qui chipe dans nos 22 trois touches de suite à l’adversaire… sans sauter. Comme quoi on peut être grand et aveyronnais et servir à quelque-chose. Remarquable également la très belle et très sonore manchette réalisée sur Greg parti jouer les centaures dans le petit côté pour s’arrêter net !
Mais pendant qu’on rigole en touche, qu’on se mornifle dans les mêlées ouvertes et que les trois-quarts font des en-avant l’heure tourne et l’arbitre grisé par un regain d’énergie des Carcajous égare son chronomètre dans la boue… Ainsi à la 89ème minute, l’ailier Carcajous met les deux pieds dans la touche et croit aplatir enfin l’essai de l’égalisation, essai fort justement non accordé. Finalement l’arbitre reprend conscience du temps qui passe et ne se rattrape guère comme le score final du match et la fin de partie est enfin sifflée. Haie d’honneur et congratulation concluront cette joute amicale, l’heure tardive ne permettant pas de boire un coup au stade.
Une rumeur dit qu’une vingtaine de PP se seraient retrouvés dans un endroit secret pour se livrer à quelques dégustations et discussions philosophiques et que parmi eux un Boubouche rajeuni de 10 ans malgré son pantalon en velours côtelé aurait déclaré : « Comme cadeau d’anniversaire, je prends ce match là ! »
A plus les grenouilles.